Hommage aux deux derniers prisonniers-évadés de Saint-Girons
"Un aller simple pour la France", telle était la demande qu'auraient certainement formulée en quittant prestement l'Allemagne, si l'affaire avait été aussi simple que cela, les 12 prisonniers de guerre saint-gironnais (un panneau leur est consacré au Musée du Chemin de la Liberté) qui tentèrent et réussirent pendant leur captivité dans différents camps et autres stalags du troisième Reich, un pari des plus fous, au prix d'une aventure insensée : l'ÉVASION !
Hélas, depuis la fin de la guerre, le temps tout doucement a patiné son œuvre ; les deux derniers survivants de cette extraordinaire épopée viennent récemment de disparaître (à 2 mois d'intervalle), comme s'ils s'étaient donné le mot et qu'aucun des deux n'avait voulu assumer à lui seul tout l'honneur et la charge d'être leur doyen.Il s'agit de Joseph Balagué (93 ans), originaire de Lacourt (Espou), ancien commerçant bien connu à Saint-Girons, et de Louis Laffite (96 ans) originaire d'Erp (Araux), qui avait de solides attaches tant à Massat qu'à Saint-Girons, mais dont l'essentiel de sa carrière professionnelle se déroula dans la Ville Rose. En ces jours de recueillement, il était nécessaire, au cours d'un travail de mémoire indispensable, de leur rendre un dernier hommage, ainsi qu'à tous les évadés des camps nazis, en saluant leur courage, leur volonté, autant que leur détermination, faite souvent d'abnégation.
Car il fallait une sacrée force de caractère, aidée en cela par cette forme de hasard compatissant que l'on appelle chance, pour relever dans de telles conditions un défi si périlleux ! En effet, bien que démoralisés par une défaite humiliante, soumis d'emblée à des conditions de détention drastiques, affaiblis par de continuelles privations, laissés sans soin face aux maladies, aux épidémies, sujets aux brimades, aux punitions, ils trouvèrent malgré tout l'énergie suffisante pour se lancer dans cette incroyable aventure ; aiguillonnés en cela qu'ils étaient par l'indicible nostalgie de ce temps sublime d'hommes libres où la vie avait encore l'élasticité du possible et le goût suave de l'espoir, prochaines victimes d'un esclavage planifié...
Pour s'en convaincre, il suffit de lire le récit que chacun des 12 couserannais avait relaté à la fin du conflit sur sa propre évasion et qu'ils avaient consigné dans un petit opuscule, vendu en 1946 au profit des veuves et orphelins de guerre (consultable sur notre site) .En ce qui concerne Joseph Balagué, on peut le qualifier d'opiniâtre de l'évasion, lui qui avait donné quelque peu ironiquement à son récit le titre de "Le merveilleux voyage", ne se référant en cela qu'à sa 4ème tentative ! (la plus "tranquille" et en train régulier, s'il vous plait !), car il avait réussi à monnayer chèrement la permission d'un civil français avec lequel il avait très habilement permuté d'identité. Par contre, les trois échecs précédents lui avaient valu un "stage" dans un commando disciplinaire en Bohème et un séjour de sept mois dans l'antichambre de l'enfer : le camp de la Mort de Rawa-Ruska où il fut déporté et d'où il réchappa... miraculeusement. Son périple s'échelonna du 17 août 1941, en partance de Munich-Dachau jusqu'à son arrivée à Saint-Girons le... 16 juillet 1943 : un bel exemple de ténacité !
Quant au titre qu'avait donné Louis Laffite à son récit "Au sortir de la Mort", il en dit long sur les dures conditions de sa captivité : 27 mois d'oppression tyrannique selon ses propres termes ! Le 6 septembre 1942, ne voyant son salut que dans la fuite, il s'échappa du camp de Sausemhein avec un de ses camarades d'infortune.
Faisant l'essentiel du trajet à pied, par monts et par vaux, de la ligne Siegfried à la plaine de Reichoffen, du canal de la Marne au Rhin jusqu'à la Lorraine, ils bénéficièrent d'une chance tenace qui les préserva (parfois de peu) des balles et des chiens policiers des patrouilles allemandes.
Après mille péripéties et au bord de l'épuisement, ils atteignirent la ville d'Epinal et enfin celle de Dôle où un passeur "providentiel" les fit traverser en zone libre. Parti le 6 septembre 1942, il regagna ainsi son village natal le 24 du même mois : un record !
La lecture des récits prégnants de toutes ces évasions nous forcent à l'admiration et au respect à l'égard de ces 12 prisonniers ; au moment même où viennent de disparaître leurs deux derniers représentants, nous nous devions d'avoir envers eux une pensée émue et reconnaissante.