Palo Treillet (1918-2005), passeur couserannais

Portrait de Palo TreilletNé en 1918 à Mont de Marsan, il perdit très jeune ses parents et fut élevé avec ses deux sœurs aînées par ses grands-parents maternels à Saint-Girons. Ils furent déclarés tous les trois Pupilles de la nation en avril 1925. Pendant ses études au collège, il adhéra très tôt aux jeunesses communistes. Son grand-père maternel Pierre Aragon, originaire de Rouze (Haut Couserans) lui transmit sa passion de la montagne, dont il deviendra de très bonne heure un fameux adepte ; après le bac, il fait au lycée Fermat une préparation aux grandes écoles.

Passionné d'aviation, il obtient son diplôme de pilote, breveté observateur ; après l'armistice du 22 juin 1940 il se fait démobiliser et rentre ensuite à la SNCF en juin 1941. Deux ans plus tard, nommé chef de convoi pour un départ de train à destination de l'Allemagne dans le cadre de la "Relève" (accord consistant au rapatriement d'un prisonnier français en échange de trois ouvriers allant travailler outre Rhin), il refuse de partir en Allemagne et du même coup rentre dans la Clandestinité.

C'est à Toulouse, "parrainé" par un de ses amis couserannais Benoît Faur, commandant FTP, qu'il adhère au réseau "Radio Patrie" sous le pseudonyme d'Étienne Ferrand, où il trouvera entre-autres en la personne d'Alain Moriquant un précieux auxiliaire, qui malheureusement tomba en décembre 1943, avec de nombreux autres camarades, dans une souricière tendue par la Gestapo, lors d'un rendez-vous à la banque Courtois, rue de Rémusat et à laquelle Palo, consécutivement au retard d'un train, échappa miraculeusement.

Le vrai nom d'Alain Moriquant, qui se faisait appeler aussi Ménard dans la Résistance était Alain Scheimann, enfant d'une famille allemande aisée qui dès 1939 avait pris le Furher en aversion et quitta rapidement le 3ème Reich. Il fit des études en France, puis s'engagea dans la légion étrangère qui, après le débarquement allié en Afrique du Nord, fut "récupérée" par le gouvernement de Vichy, avec lequel il ne voulait pas coopérer ; à ce moment là, il quitta l'armée et fut démobilisé à Auch, ce qui explique son engagement dans la région toulousaine ; ni Palo, ni Mireille ne connaissait ses origines, qu'il ne leur dévoila à leur grand étonnement qu'à son retour de captivité.

Ce dernier (Palo), spécialement apprécié par ses qualités de montagnard et une parfaite connaissance du terrain, (il avait de plus le rare avantage de posséder une carte professionnelle SNCF qui lui permettait de mener à bien des missions loin de ses bases sans éveiller l'attention) fut contacté par le réseau "Françoise" de Marie-Louise Dissart, elle-même en relation avec des organisations tant hollandaises, qu'anglaises, belges ou suisses... auxquelles il rendit de précieux services.

Sur la photo ci-dessous, prise rue de Metz en 1943, Alain Moriquant est au centre, coiffé d'un chapeau ; Henri Marot dit "Mireille" est à gauche, Palo Treillet à droite :
Alain Moriquant, Henri Marot et Palo Treillet
Bien que connaissant parfaitement la topographie des lieux, il fit peu de passages par l'Ariège, dont l'itinéraire allait de Foix à Alos de Isil en passant notamment par Rimont, La Crouzette, Biert, Ercé, Aulus, Prat-Mataou, l'Étang d'Aubé, la Cascade d'Ars, le Port de Guillou ou de Saunou et enfin la descente sur le Val d'Aran ; car habitant et travaillant alors à Toulouse, il jettera plutôt son dévolu pour des raisons logistiques sur la Haute-Garonne, d'autant qu'il pouvait disposer comme "planque" à Cazères d'une maison appartenant aux parents de son épouse où seront hébergés de nombreux fugitifs ; il sera aidé dans ces missions par un autre passeur : Henri Marot, dit "Mireille" originaire lui aussi de la région, et qui, prisonnier en Allemagne, avait été libéré au titre de la dite Relève.

Le trajet habituel était le suivant : arrivée gare Matabiau à Toulouse, hébergement ponctuel chez l'habitant, le plus souvent au dernier étage place des Puits Clos dans le logement de Marot et de... Palo ; repas possible place Saint-Georges chez "Émile", puis départ en train pour Cazères (planque si besoin dans la maison de famille de l'épouse de Palo), ensuite par autobus jusqu'à Mane ; à partir de là et à pied on rejoignait Arbas (12 km), puis La Baderque, le col du Portet d'Aspet, Couledoux, le col d'Artigascou, le vallon de Melles, le col de Puymaurin, puis Canejan en Espagne.

Marie-Louise Dissart, dite FrançoisePériple long et particulièrement éprouvant, réalisé en toutes saisons et par n'importe quel temps (sauf dans l'éventualité de neige trop profonde) ; dans le meilleur des cas il ne fallait pas moins de trois jours pour l'effectuer, la grande partie du trajet se faisant de nuit pour des raisons de sécurité. La mission consistait à faire passer généralement des militaires, et en particulier des pilotes abattus par la DCA allemande, qui voulaient rejoindre les forces alliées en passant par l'Espagne ; ces groupes hétéroclites de 10 à 20 personnes, parfois plus, étaient composés surtout de militaires Anglais, Hollandais, Américains, Belges , Australiens... Une connaissance parfaite des lieux, des circuits et des habitudes des patrouilles allemandes, autant que la collaboration précieuse de certains "locaux" étaient les ingrédients indispensables au succès de ce genre d'aventure extrêmement périlleuse !

Mireille et Palo formaient une équipe très sûre qui durant plusieurs passages permit à de très nombreux fugitifs de s'extirper des griffes des nazis. La plupart se déroulèrent sans incident ; seulement en quelques occasions ils durent par prudence rebrousser chemin momentanément et ne connurent qu'un échec, début février 1944, au sommet du Portet d'Aspet quand une partie du groupe qui avait fait halte dans une cabane très prisée des passeurs fut repérée par des Allemands et capturée.

En fait, Palo, parti en éclaireur, fut surpris par la patrouille qui lui tira dessus ; donnant rapidement l'alerte une partie du groupe (12 exactement) suivit les deux passeurs qui les ramenèrent en lieu sûr et en Espagne quelques jours plus tard ; mais certains autres trop fatigués (l'effort physique nécessaire était parfois exténuant pour certains) préférèrent se laisser prendre, pensant que la fin des hostilités était proche... et que le statut de prisonnier de guerre les préserverait. Mal leur en prit car ils furent tous déportés ; seuls deux hollandais, Timmers et Betsen, ne rebroussèrent pas chemin et tentèrent leur va-tout en s'enfuyant aussitôt, mais se perdirent dans la montagne enneigée.

Par bonheur ils "dérivèrent" sur le hameau d'Autrech (commune de Saint-Lary) où ils furent sauvés par la courageuse famille Ribis qui, de plus, fit convoyer clandestinement Betsen, souffrant de gelures, à l'hôpital de Saint-Girons où il fut amputé de quelques phalanges ! Cette cabane, théâtre du drame, a depuis été restaurée et s'appelle "La cabane des Évadés" : une stèle a même été apposée par les frères Arnold et Piet Higmans à cet endroit en 1996.