Deux familles décimées - La famille Barrau, une famille dans la tourmente

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La famille Barrau, une famille dans la tourmente.

La déportation de Norbert.
Norbert, fils d'une représentante en bijouterie de Marseille avait été confié à son oncle, habitant au Sarrat, hameau de Sentenac d'Oust, dès son plus jeune âge. Ayant perdu son mari, elle ne pouvait plus s'occuper de ses trois enfants, vu le manque de disponibilité occasionné par son métier. Après une enfance rude mais empreinte de préceptes stricts et religieux, il devint marguillier de la paroisse. Marié à 20 ans, il rejoint la maison familiale à Aubayet. Les maigres revenus de la ferme ne suffisant pas, il se fait embaucher à la papeterie JOB à la Moulasse à côté de Saint-Girons.

Norbert BarrauDans ce creuset ouvrier, il s'intéresse à la politique et ne cache pas ses opinions progressistes. Quand la guerre survient, il est naturellement sensibilisé par les idées de la résistance et devient passeur. Dénoncé, il est arrêté par la Gestapo, à l'aube d'un jour d'avril 1943, alors qu'il prenait son petit déjeuner à l'hôtel Mirouze de Saint-Girons.

Conduit à la "Mosquée", il put recevoir la visite de sa femme et de sa fille Reine, alors âgée de 20 ans, juste avant son départ en déportation. Cette dernière se souvient de la pièce où était séquestré son père en compagnie d'autres détenus aux visages tuméfiés par les mauvais traitements. Elle le revoit encore, le baluchon sous le bras, montant dans le car qui l'emmène vers l'horreur. Le dernier regard plein de tendresse, l'ultime étreinte et les quelques paroles apaisantes laisseront à jamais en elle une insoutenable douleur. Plus tard, on connaîtra le long cheminement qui, de la prison Saint-Michel de Toulouse, l'emmènera de Compiègne à Fresnes, Buchenwald, Dachau puis Dora où il trouvera la mort. L'annonce de la déportation de Norbert suscita la consternation à Aubayet. Ses plus grands fils, Louis et Paul, révoltés, décident alors de continuer le combat de leur père. Les deux frères ne sont pas tout à fait d'accord sur la stratégie à adopter. Louis, décide d'être passeur alors que Paul envisage la fuite par l'Espagne pour aller grossir les rangs de l'armée de la France Libre, il faut dire qu'ils étaient déjà sensibilisés par les tracts lâchés par les avions anglais sur les pâturages de Sentenac.

La fin tragique de Louis.
À l'instigation de sa grand-mère marseillaise, Louis était entré au séminaire sans grandes convictions religieuses. Lorsque la guerre éclate, il revient à la ferme pour aider ses parents. Dès qu'il le pouvait il aimait à s'isoler pour s'adonner à la lecture des auteurs classiques et des textes en latin. Humaniste dans l'âme, cet homme de caractère, pétri de culture ne pouvait que passer à l'action immédiate, tout en étant conscient des dangers encourus. Il prit contact avec un réseau qui prenait en charge les réfractaires et les juifs depuis Marseille jusqu'à l'Espagne. Les fugitifs étaient réceptionnés au col de l'Artigue, entre Aubayet et Espou. De là ils se dirigeaient vers la Soumère, longeaient le bois d'Arp jusqu'au Col de la Core.

Bénéficiant de la complicité active des pâtres des diverses cabanes pastorales de montagne, ils rejoignaient le Portet d'Eychelles par Aubé. Puis, après l'étang de Cruzous, c'était la longue ascension vers le col de Pécouch, la descente sur les Estagnous, puis l'Espagne via les étangs Long et Rond et le col frontalier de la Claouère. Livrés à eux mêmes, les réfugiés se dirigeaient vers Alos de Isil dans le Haut-Pallars, en évitant les carabiniers. Le départ était organisé lorsqu'il y avait un certain nombre de candidats à l'exil. Aussi, en attendant l'heure fatidique, les fugitifs étaient cachés dans les écuries isolées, parfois dans les "bourdaous". Le départ se faisait généralement la nuit pour ne pas attirer l'attention d'une patrouille.

Un jour, cette mécanique parfaitement huilée se bloque. Sous l'action conjuguée de la menace et de la torture, un membre du réseau parle et, au petit matin du 12 septembre 1943, guide ses geôliers vers la grange du Terragail, sur les hauteurs d'Aubayet. C'est là où se cache Louis en attendant l'heure propice pour prendre en charge son convoi. À 02h00 du matin, celui-ci est réveillé par la voix de son camarade qui l'implore de se rendre. Après son refus d'obtempérer, les Allemands mettent le feu à la grange. Suffocant, le forcené saute du fenil et est fauché par une rafale de mitraillette.

Sur les hauteurs, les réfractaires assistent impuissants au drame. Craignant des représailles sur le village, ils n'osent intervenir. Le fracas des armes réveille le petit hameau. La mère de Louis pressent que tout ce tohu-bohu concerne son fils. Avec les habitants du hameau, elle tente de gagner la grange. Une lueur orangée embrase les alentours et fait briller les casques des soldats. Le crépitement des flammes et la fumée confèrent à la scène un caractère irréel. Obligés de refouler sous la menace des armes, ils se replient et attendent dans l'angoisse. Vers dix heures du matin, le maire, accompagné par les gendarmes de Seix et quelques Allemands annonce à madame Barrau que son fils a été exécuté. On descend le corps affreusement mutilé, sur une échelle, pendant que la mère attend effondrée sur le pas de la porte. Aubayet est encerclé par les soldats qui recherchent Paul. Ce dernier, parti aux estives de Cazabède, s'apprêtait à descendre chez lui quand Pujoulat de la Soumère lui annonça les événements. Sans se départir de son sang-froid, il attendit la nuit pour aller se recueillir dans la chambre mortuaire de son frère avant de repartir à la cabane pastorale.

Paul le fugitif.
Le jour des obsèques, l'atmosphère est tendue dans le village. Un habitant, la voix étranglée par la colère, apostrophe les Allemands. Ceux-ci, visiblement gênés par la tournure des événements, se bornent à répondre qu'ils n'ont fait qu'obéir aux ordres. L'incident est clos !

Durant la cérémonie, un climat lourd pèse sur Sentenac. La Gestapo, sur le pied de guerre, parcourt tout le cortège pour obtenir des renseignements sur Paul. Les auberges sont systématiquement contrôlées, les pressions sur les habitants se font lourdes. Pourtant la loi de la solidarité et du silence est respectée et les enquêteurs repartent bredouilles.

Au-dessus du cimetière, les soldats font les cent pas et aperçoivent le jeune frère. Roger, âgé de 15 ans, présentant incontestablement un air de famille avec le défunt est appréhendé à à la place de son ainé. I fallut toute la force de persuasion de Jean Coumes Pangousset pour obtenir sa libération. Pour Paul, commence une vie d'homme traqué. Continuer la lutte dans ces conditions s'avère suicidaire. Aussi, prend-il la résolution de franchir sans tarder la frontière et de s'engager dans l'armée de la France Libre.

En ce mois de septembre, tout semble sombre pour lui. Certes, les vieux bergers de Cazabède, pétris par une existence faite de sagesse, lui redonnaient le goût de l'espoir. Ils ne peuvent concevoir eux les anciens de 14, un avenir sans liberté. Ils sont persuadés qu'un sauveur viendra relever le pays. Pourtant, ils ne savaient pas encore que Charles de Gaulle, le 23 août 1943, lançait aux responsables d'un réseau : "Mes camarades ! Ce que vous souffrez dans la Résistance, l'honneur et la grandeur de la France en dépendent. La fin approche. Voici la récompense. Bientôt, tous ensemble, nous pourrons pleurer de joie."

Paul franchira les Pyrénées et atteindra son but. Dans l'entretien qu'il accorda aux Chroniques de Sentenac en Couserans en 1990, il relate son combat et ses espoirs. Puis, la guerre terminée, il revint au Pays, à la solitude et à la montagne. Sa destinée, il la mènera le long des estives de la Coumière, Lézurs et Cazabède.

Quand la bise et la neige isolent Aubayet désertifié, où vont les pensées de Paul seul devant son âtre ? Nul doute que ses souvenirs le ramènent à cette période si douloureuse où son frère périt à quelques mètres de chez lui, là, devant la grange du Ramougnet où une stèle rappelle pour toujours le martyre de Louis.